29 Sep 2010
Réponse à la consultation européenne sur la neutralité du net.
Essayant de militer comme je le peux pour la neutralité du net, j’ai répondu à la consultation publique européenne sur le sujet. Voici le contenu de ma réponse :
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Tout d’abord je voudrais signaler d’une part que j’apprécie la démarche de consultation publique européenne sur un sujet aussi important que la neutralité du net, cependant je trouve honteux qu’une telle consultation européenne ne soit pas disponible dans toutes les langues officielles des pays membres de l’Union Européenne. Mes réponses seront en français. Je n’ai pas traduit les questions, mon niveau d’anglais n’étant pas suffisant.
Les réponses que j’apporte concernent uniquement ma vision de l’Internet en France.
Question 1: Is there currently a problem of net neutrality and the openness of the internet in Europe? If so, illustrate with concrete examples. Where are the bottlenecks, if any? Is the problem such that it cannot be solved by the existing degree of competition in fixed and mobile access markets?
Oui. Il y a déjà des problèmes concernant la neutralité du net et au niveau de l’ouverture.
Concernant la neutralité, elle est complètement inexistante dans l’Internet mobile. Les forfaits Internet illimités ne sont jamais illimité, et sont principalement des accès aux services web et mail. Possesseur d’un forfait « Internet illimité » chez Orange, je ne peux pas écouter ma webradio préférée car elle n’est accessible que sur le port 9000. Je ne peux pas accéder à mon annuaire LDAP car il est sur un port sécurisé (636), et que seul le port LDAP non sécurisé (389) est ouvert et disponible.
J’aimerai également limiter les accès à la zone d’administration de mon blog à mon IP fixe, et à mon IP de téléphone mobile, mais ce n’est pas possible car je n’ai aucun moyen de connaître l’adresse de mon téléphone mobile, car celui-ci n’a pas d’adresse IP fixe.
Il n’y a pour ainsi dire aucune concurrence à ce niveau là. D’autres fournisseurs semble limiter encore plus et n’autoriser qu’à accéder à Facebook, Twitter et MSN.
Au niveau de l’Internet fixe, il n’y a plus que 5 offres ADSL (je ne suis pas dans une zone éligible au câble). Ils se sont tous alignés sur l’offre de Free à 30€ avec sa Freebox. Il n’y a aucun moyen d’accéder à internet autrement qu’avec une « box » que l’on est obligé de louer ou de payer pour la renouveller et ainsi accéder aux offres qui sont sensés être inclus dans le forfait. Aucune diversité de choix. C’est une entente globale (tacite ou non) qui rend le marché complètement immobile depuis des années.
Il n’est pas possible d’avoir un accès simple à Internet sans avoir la télévision sur IP de l’opérteur et le téléphone inclus. Ce qui est d’ailleurs une vente liée qui devrait être contrôlée par la DGCCRF.
D’autre part la neutralité du réseau est égratignée chez Orange, car il est impossible d’avoir un serveur d’envoi d’email qui aurait pu être utile dans mon activité professionnelle. J’ai du changer pour un autre opérateur. Mais si demain cet autre opérateur décide de faire pareil, cela ne sera plus possible du tout.
Question 2: How might problems arise in future? Could these emerge in other parts of the internet value chain? What would the causes be?
Les problèmes se posent car ceux qui ont le contenu (exemple Orange avec les droits de diffusion du football en France), sont en charge de le transporter.
La possibilité que ceux qui acheminent le contenu puissent en connaître le contenu apporte forcément la tentation d’utiliser cette possibilité afin de favoriser son propre contenu.
Par exemple, dans le futur, la télévision sera majoritairement de la télévision sur IP. Du coup les abonnés Canal+ regarderont le football via Internet. Si Orange et Canal+ possèdent tous deux les droits des matchs de football, et que je suis abonné chez Orange pour Internet et à Canal+ pour les matchs de football et les films. Orange peut dire « Pour préserver ma qualité de service dans le visionnage du football pour mes abonnés du pack Orange-Foot, mes matchs de football sont prioritaires sur les autres matchs diffusés ». Les abonnés Orange également abonnés à Canal+ mais pas au pack Orange-Foot, verront leur match ralenti, saccadé, avec de la pixellisation dans le match etc. C’est inadmissible.
Question 3: Is the regulatory framework capable of dealing with the issues identified, including in relation to monitoring/assessment and subsequent enforcement?
Le cadre actuel a plusieurs problèmes :
- Les lois concernant le respect de la correspondance privée n’est pas appliquée. La simple idée de lire le contenu de ce qui transite sur un réseau pour faire le tri de qui ou quoi serait prioritaire sur Internet est inacceptable.
- Les fournisseurs d’accès utilisent le chantage pour éviter l’émergence de la concurrence. Exemple avec Bouygues Télécom qui menace de supprimer des emplois si Free obtient la 4ème licence 3G. C’est une logique de libre concurrence basée sur un appel d’offre de marché public dont la décision doit être respectée.
- Les lois concernant la neutralité du réseau Internet n’est pas appliquée (liberté de mouvement et d’accès à l’information, liberté d’expression etc). Exemple avec l’écoute d’une webradio sur le port 9000. Alors que l’application Orange-Liveradio permet d’écouter les radio qu’Orange a choisit. Ce n’est pas ça la neutralité du net.
Pour éviter les problèmes futurs, il faut déjà appliquer les lois existantes et fondamentales, comme le respect de la correspondance privée.
Question 4: To what extent is traffic management necessary from an operators’ point of view? How is it carried out in practice? What technologies are used to carry out such traffic management?
L’idée de gestion du trafic est compréhensible. Par contre la prioritisation du trafic est inadmissible et contraire au principe du respect de la correspondance privée.
Je ferai une analogie avec La Poste.
On comprend tout à fait que La Poste n’a pas une infinité de camions, et que quand tous ses camions sont partis remplis de courrier, le courrier restant attend, et est acheminé moins vite.
Par contre il est inacceptable que La Poste puisse vérifier qui écrit le courrier, ou il va et d’où il vient, pour savoir si on va le mettre dans le premier camion, et le mettre en attente sur le côté.
Et il est encore moins acceptable que La Poste ouvre les lettres, pour voir le contenu du courrier et savoir s’il est prioritaire, même si c’est fait par une machine automatique. Sinon on imagine bien que les lettres des autres banques arriveront moins vite que celles de La Banque Postale.
Autre exemple, il n’est pas acceptable qu’un partenariat officiel entraîne une priorisation du trafic. Par exemple, si Dailymotion fait un partenariat avec Orange pour que le trafic Dailymotion soit prioritaire sur les autres Youtube, Vimeo, Wat etc.
C’est comme si Mercedes-Benz faisait un partenariat avec les Autoroutes du Sud, pour que les Mercedes aient le droit de faire du 130km/h sur l’autoroute tandis que les autres n’auront le droit qu’au 110km/h, ou de garder une voie de l’autoroute rien que pour les Mercedes lors des grands départs du mois d’août !
Question 5: To what extent will net neutrality concerns be allayed by the provision of transparent information to end users, which distinguishes between managed services on the one hand and services offering access to the public internet on a ’best efforts’ basis, on the other?
La neutralité du net est un principe fondateur d’Internet qui a permis à Internet d’être ce qu’il est aujourd’hui. La possibilité que cette neutralité puisse être bafouée, même en toute transparence, n’est pas acceptable. Comme détaillé dans ma réponse à la question 8, cette transparence n’est pas suffisante, puisqu’il n’y a pas d’alternative possible pour accéder à Internet que par les 5 ou 6 fournisseurs d’accès qui alignent leurs offres les uns sur les autres.
Aucun accès des service public et neutre à internet n’existe, et c’est pour cela que la seule transparence des offres d’entreprises privées n’est pas suffisante. Les entreprises privées doivent être contraintes de respecter cette neutralité.
Une façon de rémédier à ce problème serait de séparer les transporteurs, du réseau de transport, de la même façon que ERDF et EDF ont été scindés, ou que la SNCF et RFF sont deux entités séparées.
Question 6: Should the principles governing traffic management be the same for fixed and mobile networks?
Il est compréhensible que la quantité d’information transportable sur les réseaux mobiles soit moins importante que sur les réseaux fixes.
Par contre il n’est pas normal qu’il ne soit pas possible de faire de la VoIP avec son accès « Internet illimité » alors qu’il est possible de voir les matchs de football et des vidéos des matchs sur la plateforme TV du fournisseur d’accès (par exemple chez Orange). De la même manière, il est possible de regarder toutes les vidéos que l’on veut sur Youtube, mais pas écouter sa webradio préférée, alors que c’est bien moins gourmand en bande passante.
La volonté de ces limitations n’est pas de limiter la quantité de données qui transitent sur le réseau, mais de contrôler et de limiter ce qui s’y passe, pour obliger l’utilisation de certains services.
Les principes doivent donc être les mêmes sur l’Internet fixe et l’Internet mobile. Les embouteillages dans les tuyaux réguleront le trafic par eux-même.
De plus l’arrivée prochaine de la licence 4G permettra de repousser encore cette limite de trafic qui n’est pour l’instant pas atteinte.
Question 7: What other forms of prioritisation are taking place? Do content and application providers also try to prioritise their services? If so, how – and how does this prioritisation affect other players in the value chain?
Voir la réponse à la question 6.
Question 8: In the case of managed services, should the same quality of service conditions and parameters be available to all content/application/online service providers which are in the same situation? May exclusive agreements between network operators and content/application/online service providers create problems for achieving that objective?
Oui les accords d’exclusivité, ou les partenariats au niveau du réseau sont problématiques. Voir mon exemple des autoroutes dans ma réponse à la question 4.
De plus les accords d’exclusivité peuvent mener à des découpages gênants pour les abonnés des opérateurs. Par exemple si Dailymotion fait un partenariat avec Orange et Bouygues, et que Youtube fait un partenariat avec SFR et Free… Les abonnés de Free n’ont pas le choix, s’ils préféraient utiliser le site de Dailymotion car ils trouvaient des vidéos de meilleure qualité, ou que les vidéos de certaines marques y étaient diffusées en exclusivité, alors l’abonné se retrouve amputé d’une partie de l’Internet non accessible ou accessible dans un mode dégradé.
L’argument qui dit « la concurrence permettra de résoudre le problème » n’est pas bon, car tous les acteurs en jeux sont privés. Revenons à mon exemple des autoroutes. Si je trouve que les autoroutes que j’emprunte sont trop chères, ou mal entretenues, ou trop embouteillées, on peut imaginer que le problème de la concurrence se résoudra avec le réseau routier national qui lui est omniprésent et offre un service parfois moins pratique, mais gratuit. De plus le réseau routier national permet de se rendre partout en France, même dans les coins les plus reculés. L’utilisateur a le choix entre prendre les autoroutes ou prendre les routes nationales.
Avec le marché de l’Internet, il n’y a que des autoroutes. Si tous les fournisseurs d’accès augmentent leur tarif de 10€, les abonnés n’auront pas d’autre choix. L’idée d’arrêter d’être abonné à l’Internet n’est aujourd’hui plus envisageable tant il est indispensable, dans la recherche d’emploi, d’accès à l’information et à la culture, ainsi que le lien social et familial qu’il tisse. Dans la plupart des écoles et universités des cours sont distribués via Internet, il n’est plus concevable pour s’éduquer et se cultiver de se priver d’Internet. L’accès à Internet doit être préserver comme un bien commun et le plus largement distribué.
Soit il est accessible de façon encadré par la loi (et que la loi est respectée), soit il doit être fourni par l’état (au même titre qu’un logement neuf doit être relié à l’électricité et à l’eau), sous un format minimal qui permette l’accès libre à tout Internet sans restriction, sans box, sans vidéo à la demande etc.
Question 9: If the objective referred to in Question 8 is retained, are additional measures needed to achieve it? If so, should such measures have a voluntary nature (such as, for example, an industry code of conduct) or a regulatory one?
Le code de conduite est déjà présent : c’est la loi sur la régulation des télécommunications qui impose au transporteur de simplement transporter le paquet, sans se soucier du contenu, et la déclaration des droits de l’Homme (article 12) qui protège la correspondance privée et la vie privée contre l’immixtion arbitraire.
Il n’est nul besoin de créer une autre loi. Si la déclaration des droits de l’Homme est respectée, la neutralité du net sera préservée, et la correspondance privée également.
Question 10: Are the commercial arrangements that currently govern the provision of access to the internet adequate, in order to ensure that the internet remains open and that infrastructure investment is maintained? If not, how should they change?
Non, les accords commerciaux actuels ne permettent pas de soutenir les investissements sur les infrastructures. Justement car les principaux acteurs en place essaient de fermer le marché. Par exemple avec la fibre optique. Les opérateurs n’essaient pas de s’entendre pour mieux développer le réseau de fibre. Ils préfèrent développer chacun leur réseau de fibre pour enfermer leurs clients chez eux et créer leur réseau Internet différent, avec leur infrastructure et leurs services exclusifs.
Ainsi, si Orange est le seul opérateur qui me propose la fibre, et que je ne suis plus satisfait de mon abonnement parce qu’Orange a fait un partenariat d’exclusivité avec Deezer et que mon accès à Spotify devient filtré. Je ne peux pas changer d’opérateur en gardant mon confort d’utilisation de fibre optique, car ce sera le seul opérateur qui me propose la fibre.
Si les opérateurs s’entendaient pour fibrer le territoire, alors la fracture numérique serait moindre, et permettrait plus de concurrence pour un même accès.
Question 11: What instances could trigger intervention by national regulatory authorities in setting minimum quality of service requirements on an undertaking or undertakings providing public communications services?
Selon moi, cette qualité de service minimale n’est pas nécessaire. De la même manière qu’on interdit pas les voitures grises le matin sur le réseau routier francilien pour éviter les embouteillages. Le trafic s’auto-régule car tout le monde avance à la même vitesse. Soit on part plus tôt soit on part plus tard.
De la même façon sur Internet, si le service de VOD est trop lent de 18h à 20h, on regardera le film à partir de 21h, pour l’avoir avec une belle qualité. Mais il n’est pas question que ce service (car fourni par le fournisseur d’accès) soit prioritaire sur les abonnés qui écoutent une émission de radio politique en direct au même moment.
La régulation doit se faire dans l’égalité entre tous les internautes, peu importe l’utilisation qu’ils font de leur accès.
Question 12: How should quality of service requirements be determined, and how could they be monitored?
Mes compétences ne me permettent pas de répondre à cette question.
Question 13: In the case where NRAs find it necessary to intervene to impose minimum quality of service requirements, what form should they take, and to what extent should there be co-operation between NRAs to arrive at a common approach?
Les autorités de régulation doivent s’assurer que tous les abonnés (de tous les fournisseurs d’accès européens) aient accès au même réseau Internet. Il serait inacceptable qu’il y ait un accès à 20€ avec comme sites disponibles uniquement Google, Facebook et Dailymotion, et que pour 40€ on ait aussi accès au site de LeMonde.fr et de Wikipedia.org et la possibilité d’écouter la radio sur Internet.
L’accès à tout Internet doit être le même pour tous. Seul le trafic et la vitesse d’accès doit faire influer le prix de l’abonnement.
De la même façon que les possesseurs de voitures Peugeot ou de Ferrari peuvent aller sur les mêmes routes. Seule la vitesse et le confort de conduite seront différents.
Question 14: What should transparency for consumers consist of? Should the standards currently applied be further improved?
La transparence devrait être l’assurance que les autorités de régulation (ARCEP en France) s’assurent que les fournisseurs d’accès à Internet fournissent un accès total à Internet !
Comme dit en réponse à la question 9, les standards actuellement en place existent pour préserver cette neutralité, il ne sont juste pas appliqués. La transparence et l’assurance pour les consommateurs d’avoir un Internet neutre serait d’avoir un contre pouvoir suffisant qui puisse s’assurer que des grandes entreprises ne puissent pas empêcher les citoyens européens d’accéder librement à tout l’Internet.
Question 15: Besides the traffic management issues discussed above, are there any other concerns affecting freedom of expression, media pluralism and cultural diversity on the internet? If so, what further measures would be needed to safeguard those values?
Internet n’est pas un endroit, c’est un chemin / moyen de transport. Comme l’est La Poste ou le réseau routier. Il n’est pas concevable que l’on empêche une personne de s’exprimer ou d’aller à un endroit en passant par Internet sans qu’un juge ne soit saisi. La loi qui s’applique pour les échanges humains, postaux, routiers et numériques, s’applique déjà pour le réseau Internet.. Il n’est pas nécessaire de faire des lois spécifiques au réseau Internet. L’application des lois déjà existantes peut donc empêcher les atteintes à la liberté d’expression, et assurer le pluralisme des médias sur Internet comme elle le fait déjà sur les réseaux non numériques.
Merci d’avoir lu ma réponse jusqu’ici. J’espère que les parlementaires et commissaires européens seront prendre la mesure des enjeux qui reposent sur la neutralité du réseau Internet. C’est cette neutralité qui permettra aux citoyens de l’Union Européenne, mais également du monde entier, de s’enrichir au niveau éducatif, culturel et matériel.